Des émotions dans mon assiette

Rédigé par Claire SENTANDREU, Psychologue clinicienne

Et si nos émotions se trouvaient dans nos assiettes ? Et ni nos émotions contrôlaient ce que l’on mange ? C’est ce que nous allons essayer d’éclairer dans cet article. Mais pour commencer, débutons par une petite définition des émotions.

« Tout le monde sait ce qu’est une émotion, jusqu’à ce que vous lui demandiez de la définir. » (Fehr, Russell 1984).

Une émotion est une réaction corporelle à une situation que nous vivons. Elle se manifeste physiquement par des frissons, des fourmillements, et autres sensations. L’émotion agit comme un signal de courte durée, durant seulement quelques secondes. Ces émotions libèrent des hormones dans notre corps, et ainsi, ne pas comprendre nos émotions revient à ne pas comprendre notre cerveau. En effet, nos émotions sont le langage de notre cerveau. Il est important de revenir sur la distinction entre émotion, sentiment et tempérament.

L’émotion est une réaction instantanée et brève à une situation donnée. Le sentiment, en revanche, correspond à l’émotion prolongée dans le temps, c’est la durée que nous accordons à cette émotion. Les sentiments sont donc plus durables que les émotions et persistent dans nos pensées. Quant au tempérament, il s’agit d’une tendance émotionnelle apprise généralement durant l’enfance. Bien qu’il soit souvent stable, le tempérament n’est pas immuable et peut évoluer en fonction de
l’environnement, du milieu social et des évènements de vie.

Beaucoup de chercheurs ont proposé, pour mieux cerner le concept qu’est l’émotion, une classification. La littérature propose alors un schéma de classification des émotions en deux niveaux : primaires et secondaires. Selon la classification élaborée par le psychologue Paul Ekman (1984), nous comprenons que les émotions primaires, c’est-à-dire, la joie, la tristesse, la colère, la peur, le
dégoût et la surprise sont les émotions pré-figées génétiquement, autrement dit, que nous connaissons dès que nous naissons. Les émotions secondaires ne sont quant à elles pas innées et s’acquièrent donc au fur et à mesure de notre croissance. Ekman, parle d’émotions complexes issues de notre croissance, ainsi que le résultat de la combinaison de plusieurs émotions primaires. On compte parmi elles, la culpabilité, l’embarras, le mépris, l’enthousiasme, …

Les émotions font entièrement partie de notre quotidien. Elles jouent un rôle majeur dans l’interprétation, la compréhension et l’échange avec l’autre. Parfois, il arrive que cette gestion des émotions fasse défaut à cause de nombreux facteurs : environnement, société, éducation, traumatisme, …

« Manger permettra de se soustraire à l’émotion pour ne pas la vivre et la ressentir. » (Gaumet, 2014)

Il n’est pas rare d’entendre des patients souffrant de TCA nous indiquer qu’ils rencontrent des difficultés quant à leur gestion des émotions. Il peut être difficile d’accepter les émotions et d’autant plus lorsqu’elles sont désagréables. Des stratégies peuvent alors être mises en place pour réprimer l’émotion. C’est ce que l’on nomme la « répression émotionnelle ». Cette répression peut se traduire dans la nourriture. Manger permet d’étouffer l’émotion pour ne plus la ressentir. Dans ces moments de « crises », les patients se mettent en « mode automatique » où ils vont manger tout en oubliant l’émotion qui était à l’initiative de cette crise. L’alimentation peut devenir un anesthésiant émotionnel. Le risque de ces conduites et d’arriver à ce que l’on nomme l’alexithymie, qui est la difficulté à identifier, nommer, exprimer ou réguler ses émotions. À force de gérer ses émotions par le biais de l’alimentation, le corps et la psyché vont se conditionner à ne réagir que de cette manière. Par conséquent, l’émotion sera constamment enfouie et jamais élaborée. Il sera donc d’autant plus difficile d’être à l’écoute des messages que l’émotion essaye de faire passer. C’est de là que peut s’installer la dissociation émotionnelle.

Le cercle vicieux du TCA est que la culpabilité va venir entretenir les crises. Cette culpabilité renvoie à de la colère contre soi-même. Ainsi, ce cercle va prendre la forme suivante :

– Remise en question
– « Je veux perdre du poids »

– Restriction et hypercontrôle
– « À partir de maintenant, plus de chocolat »

– Frustration
– « Allez, juste un petit carré… »

– Perte de contrôle
– « Foutu pour foutu… »

– Culpabilité
– « Je n’ai aucune volonté, je suis nulle »

– Remise en question….

Pour traverser ces difficultés émotionnelles, il est important de pouvoir être accompagné par un ou plusieurs professionnel(s) pour vous accompagner dans l’apprentissage de la gestion des émotion, pour être davantage à l’écoute des signaux internes et externes afin de mieux comprendre vos émotions et vos réactions.

Bibliographie
Ekman, P. (1984). Expression and the nature of emotion. In K. Scherer & P. Ekman (Eds.),
Approaches to emotion (pp. 319–343). Hillsdale, New Jersey: Erlbaum
Ferh. B & Russel. J. A. (1984) : Concept of emotion viewed from a prototype perspective. Journal of Experimental Psychology 113(3) : 464-486.
Gaumet, S. (2014). Obésité et prise de conscience corporelle. De Boeck Superieur.
HappyVisio (2022), des émotions à l’alimentation.